TOO
MUCH CLASS... DOGS, L'HISTOIRE
Catherine Laboubée
Editions La Belle Saison
« Bonsoir, on s’appelle les Dogs et on vient de Rouen
en Normandie ! » Catherine Laboubée, écrivain,
historienne de renom, titulaire d’un Master d’histoire
médiévale et surtout sœur du regretté Dominique
Laboubée, a rendu l’hommage tant attendu aux Dogs, le
célèbre groupe de Rouen, le groupe magique de garage-rock,
totalement anachronique et qui n’avait pas d’équivalents
en France. Emmenés par le charismatique Dominique Laboubée,
dont la brutale disparition fit l’effet d’un coup de tonnerre
dans le ciel ténébreux du french-rock, les Dogs étaient
entre autres influencés par les Flamin’ Groovies, le
Velvet Underground, les Kinks, Gene Vincent, les Cramps, les Stooges,
les Isley Brothers, Buddy Holly ou encore The Chocolate Watch Band…
Ce livre luxueux de plus de 300 pages et 200 photos, regorge de nombreux
articles de presse et de documents incroyables, comme le courrier
des lecteurs de Rock & Folk envoyé au journal en mai 1974
par un certain… Philippe Manœuvre. Catherine Laboubée
retrace avec opiniâtreté le parcours du plus anglo-saxon
des groupes de rock français et bien entendu de son leader
et fondateur, Dominique Laboubée. On se souvient aisément
d’albums incontournables et cultes des Dogs comme ‘Too
Much Class For The Neighbourhood’ de 1982, qui est encore aujourd’hui
considéré par un grand nombre de spécialistes
comme le meilleur album de rock français de tous les temps,
avec les fameux clichés de Bruno Le Trividic qui donnent le
ton de cet opus. On y voit les Dogs d’une élégance
naturelle hors du commun, à la fois menaçants et en
perpétuel danger, avec Elvis en arrière fond et la Rickenbacker
de Dominique délicatement posée sur un fauteuil. Le
groupe qui atteindra cette année-là son apogée,
est alors composé de son leader historique, Dominique Laboubée
au sommet de son art et en compositeur exceptionnel, d’Antoine
Masy-Perier qui deviendra plus tard Tony Truant à la guitare
rythmique, de Michel ’Mimi’ Gross à la batterie
et de Hugues Urvoy de Portzamparc à la basse. Ce disque colossal
contient des pépites originales des Dogs comme ’The Most
Forgotten French Boy’, ’Gone Gone Gone’, ’Too
Much Class…’, ’Hesitation’ et quelques reprises
bien envoyées comme ‘Shakin’ With Linda’
des Isley Brothers, ou encore une version explosive du ‘The
Train Kept -A- Rollin’ de Tiny Bradshaw, mais popularisé
par Johnny Burnette. Sans oublier le second album EPIC/CBS de 1983
produit par Vic Maile (Eric Clapton, The Inmates, Dr Feelgood, etc…)
qui s’intitulait ’Legendary Lovers’ et s’avérait
également être un excellent album qui faisait figure
d’OVNI au milieu de cette scène française (Téléphone,
Trust, etc…) qui chantait en français et qui passait
en radio entre le dernier tube édulcoré de Jean-Jacques
Goldman et la dernière biguine festive de la Compagnie Créole.
Une avalanche de purs joyaux de garage-rock signés de la plume
alerte de Dominique étaient également au programme de
‘Legendary Lovers’ : ’Little Johnny Jet’,
’Never Come Back’, ’Secrets’, ’M.A.U.R.E.E.N.’,
’If You Don’t Want Me No More’, etc… Sur scène,
les Dogs jouissaient d’une incroyable osmose et d’un standing
hors du commun, tant par l’attitude que par la musique interprétée,
clichés qui n’étaient pas de rigueur chez les
autres groupes de rock hexagonaux. Poussés par le charisme
de Dominique, les Dogs se détachaient, ils sortaient indubitablement
du lot. Pour la France, ce groupe était un véritable
miracle. Le côté stoïque de Dominique, qui cependant
malmenait sa Rickenbacker millésimée avec rage et subtilité,
comme si sa vie en dépendait, comme toujours sur le fil du
rasoir, au bord de la rupture, comme dans un sempiternel état
d’urgence, ajouté au côté petit lutin furieux
d’Antoine Masy-Perier, comme s’il était pris d’une
perpétuelle crise de delirium tremens ou bien qu’il aurait
contracté la danse de Saint Guy, sans oublier une rythmique
solide assurée par Hugues et Mimi, donnaient aux Dogs un cachet
extraordinairement époustouflant. L’esthétisme
à son paroxysme en somme ! Hélas, malgré un talent
inouï et d’innombrables tournées à travers
l’Europe, la Scandinavie et le Japon, de nombreux autres disques
de très haute lignée comme ‘Shout !’ ou
le dernier en date, le double live ‘Short, Fast & Tight’,
les ventes restèrent très moyennes. Les teenagers français
préférant se ruer sur les albums de Téléphone,
qui eux en bons opportunistes chantaient dans la langue de Molière
en privilégiant un rock édulcoré et acnéique
pour élèves de 3ème redoublants. Bref, peut-être
avaient-ils trop de classe pour un pays dont le rock and roll n‘est
pas une culture viscérale. Peut-être étaient-ils
trop purs et trop authentiques… Peut-être avaient-ils
trop de classe. Too Much Class… La France n’était
peut-être pas encore prête pour vénérer
un tel groupe qui n’avait absolument rien à envier à
ses pairs. Outre le fait de se replonger dans une certaine nostalgie
où le rock était un art de vivre, ce magnifique ouvrage
et l’inlassable travail de recherche de Catherine Laboubée
permettent également de ne pas oublier ce funeste soir d’octobre
2002, où Dominique Laboubée quitta ce monde prématurément
lors d’une tournée aux Etats-Unis à l’âge
de 45 ans et entra à tout jamais dans la légende du
rock and roll par la grande porte, en empruntant la voute céleste,
la même déjà empruntée par Eddie Cochran
et Gene Vincent et la même qu’emprunteront Lee Brilleaux,
Joey Ramone ou Lux Interior. Cette disparition tragique sonna comme
l’épilogue d’une épopée inachevée.
Depuis, le temps semble s’être arrêté à
Mont-Saint-Aignan, banlieue cossue de Rouen. Comme si une force supérieure
venue des cieux voulait réécrire l’histoire. Car
il faut bien se faire à l’idée que plus jamais
on entendra la voix de Dominique pleine de pudeur, de charme et de
fragilité annoncer au début d’un concert : «
Bonsoir, on s’appelle les Dogs, on vient de Rouen en Normandie
»… Non plus jamais ! Merci à Catherine Laboubée
d’avoir ravivé la flamme qui sommeillait en nous. Too
Much Class !
www.labellesaison.fr
Serge Sciboz